Author Archives: Emma2014
POISSON D’AVRIL à l’unilatérale
sur le dos du skrei
– Cékoi c’qu’on mange ce soir? demande Max.
– Des pommes de terres sautées et du poisson, répond Maman.
– C’est du saumon, hein? s’enquiert le gosse.
– Des pavés de skrei au four, tu vas voir c’est délicieux, argumente sa génitrice.
– Pouah… j’en mangerai pas, conclut Max.
Ça te rappelle quelque chose? Mais nooon, pas toi, je rigole ! Car tu fais partie des élues, je le SAIS. Des curieuses des papilles, des résistantes à l’hégémonie du poisson orange élevé dans des piscines immondes près de fiords enchanteurs, ou ratissé dans l’Atlantique par des usines flottantes.
Tu as donc fait l’acquisition de superbes dos de cabillaud ou de skrei, avec leur peau si possible (et même si le nom de ton poissonnier commence par P et se termine par D… je te pardonne pour cette fois; laisse-le simplement décongeler toute une nuit au frigo).
Le skrei, c’est la star du gotha des poissons, le cabillaud des Vikings, le poisson de l’amour (on ne l’attrape qu’après ses sept ans, quand il s’est reproduit) ; une variété à la chair fine et maigre, pêchée uniquement à la ligne à la fin de l’hiver vers les Îles Lofoten, au delà du cercle arctique. Les quotas et la période restreinte permettent une augmentation régulière de sa population. Fin du point écolo…
Fais ton marché (4 pers): 4 dos de skrei ou de cabillaud, persil et basilic frais, 600 g de petites PdT (grenaille) à chair ferme (Belle de Fontenay, Charlotte, Nicola, Ratte, Roseval…), huile d’olive, 1 citron.
Passe à l’action:
– Lave les pommes de terre sans les éplucher. Allume le four à 180°, chaleur tournante. Passe les PdT 10 mn à la vapeur puis dépose-les dans un grand plat à gratin, arrose généreusement d’huile et saupoudre d’un peu de gros sel, laisse cuire 30 mn en retournant 1 ou 2 fois.
– Lorsque les pdt sont cuites, monte le four à 200°, ressors le plat et fais une place pour le poisson au centre.
– Dépose les dos dans le plat (peau en dessous), badigeonne la chair avec de l’huile et quelques grains de sel, un tour de poivre et la moitié du hachis d’herbes. Enfourne pour 12 minutes. Les morceaux seront servis additionnés de poivre et du reste des herbes. Jus de citron, filet de ta meilleure huile et fleur de sel pour ceux qui aiment. Un plat de fenouil à l’étouffée en accompagnement sera délicieux.
L’œil du photographe: Les nervures délicates du poisson blanc (séparation des myomères) se lisent parfaitement dans cette ambiance « lumière du jour » aux ombres douces, un peu bleutées. La styliste culinaire est bretonne (photo faite en studio, chambre numérique et flash électronique). ©photo et texte Jean-Michel Renaudin, Stylisme Geneviève Peron
BON CHILI 2016
que la Force du Piment soit en Toi…
Le mois dernier c’était Noël ! T’as vu ? Les employés municipaux lancés aux cîmes de leurs nacelles sécurisées, accrochant des guirlandes, rennes clignotants, étoiles bleues surgelées… Toutes ces lumières à led glaciales qui te font ressembler à une caissière Carrefour Market quand tu passes dessous.
Et maintenant c’est janvier. Crocus et scilles de Sibérie attendent, tapis sous les frais flocons blancs ; au salon, sous le sapin, les aiguilles forment des dunes qui grossissent chaque jour; Maman a réintégré sa maison de retraite à Rueil-Malmaison ; sur la table basse gisent 3 chocolats croqués par les enfants.
Et toi, c’était comment? Week-end à Albuquerque ? lever de soleil dans le désert ? la dernière bûche de Kenzo Takada une tuerie ? rien ? les enfants ? les cadeaux ? les blagues de ton beau-père ?
Allez, avoue, tu as mangé ! Bien mangé. Trop mangé… Non, pas version Piccoli se dégonflant au nez du beau Mastroianni, mais…quand même, ça descend dans le ventre, dans les cuisses, tu le sens… Et tu dois reprendre le boulot, avec ces boites de Jeff de Bruges et de Léonidas qui traînent sur les bureaux, allez un p’tit chocolat Christine ça sera fait on la finit cette boite, qu’on en parle plus.
Mais ne crains rien. Tu n’es pas dans cette vie par hasard. Sur ce site encore moins. Tel Pygmalion pour Galathée, Sarastro pour Pamina, Paul Lederman pour Claude François, je suis là pour ton bien. Jamais je ne t’obligerai à jeûner, jamais je ne te proposerai de régime. Tu as ma parole, sur la tête du bar à vin que tenait mon arrière grand-oncle, paix à son âme.
Après tous ces mets riches, trop riches, ton corps réclame des choses simples, nourrissantes, reconstituantes, épicées… par exemple un Chili con carne.
Fais ton marché (4 pers): 400 g de bœuf haché – 400 g de haricots rouges cuits – 2 oignons – 1 poivron rouge + 1 vert – 3 piments chili – 3 gousses d’ail – 3 feuilles de sauge – un éclat de gingembre frais – une grosse boite de tomates pelées bio + 25 cl de coulis – patate douce 200 g- 1 citron vert – huile d’olive (3 c.à.s.) – sel
Passe à l’action: Si tu pars de haricots rouges secs (150g), fais-les tremper la veille puis cuire 1 heure env., égoutte, réserve. Si tu pars de haricots en boite, égoutte-les et rince-les. Tu as gagné 1 heure. Mais c’est moins bon.
Dans une grande sauteuse, fais revenir doucement à l’huile tes oignons émincés, l’ail haché et les poivrons coupés très fin. 20 minutes.
Ajoute sans hésiter la viande et continue encore 20 mn à feu moyen, en remuant souvent ; ça doit commencer à griller comme les bisons dans la prairie.
Maintenant c’est le tour de la tomate et du coulis, des piments, des herbes et des épices, du sel. Dès que ça bout tu baisses le feu, tu couvres et tu laisses faire 1 heure. Tu peux quand même venir remuer 2 ou 3 fois, non ?
Pendant ce temps, tu cuis la patate douce entière, à l’eau ou vapeur. Tu la pèles et tu la coupes en rondelles épaisses.
Juste à la fin, incorpore les haricots rouges égouttés et touille bien ! Râpe le zeste d’un demi citron vert dessus. Re-touille !
Comme les Grands de ce monde, c’est un plat tolérant : ça peut attendre, et se réchauffer le lendemain.
Avec, tu manges du riz ou des galettes de mais. Et n’oublie pas la patate douce…
C’est un plat très équilibré et nourrissant. Je te l’avais dit.
Bonne année 2016 !
L’œil du photographe: Les tons chaleureux de l’Amérique du Sud, une lumière hivernale bien de chez nous. Stylisme Geneviève Peron ©photo et texte Jean-Michel Renaudin
un C A R P A CC I O à Compostelle
De Saint Jacques à Nankin
Une recette d’une simplicité biblique.
Si, si, j’aurais pu te la faire en une ligne, « tu tailles les St Jacques en lamelles, tu arroses de jus de citron, sel, poivres, échalotte, herbes, e basta cosi (eh oui, carpaccio, ça te fait pas penser à Caravaggio, Michelangelo, tartuffo, etc… et ça, ça vient de Chine, peut-être?)
Mais bon, j’avoue, ça se fait pas de tout dire comme ça, sans enrobage… Tu vois? Oui, TU VOIS parce que tu travailles dans la pub, la com ou quelque chose comme ça… Tu sais ce que c’est, de donner de l’importance, de l’appetite appeal, hein?
D’abord, on a besoin des St Jacques. Cette fois, tu n’entreras pas chez Picard sinon je t’exclus définitivement (SI, tu y vas, JE LE SAIS). Je vais te demander un exploit: croiser la route d’un poissonnier. Un poissonnier, c’est une créature issue du siècle dernier qui mérite ton respect: elle a résisté au monde de la grande distribution et même aux farines animales… Allez, je te donne un indice: à tes heures creuses, rends-toi sur les marchés, tu pourras peut-être en voir un.
Quand tu l’auras trouvé, tu lui demanderas gentiment d’enlever les noix de ses précieux mollusques et de te les fournir, sans le corail.
Le top, c’est quand les coquilles sont vivantes, au moins chez le poissonnier. Comme des huîtres. Ah, oui, emporte quand même les corails, tu pourras faire une soupe délicieuse avec. Et tu les as payés…
à ce stade, offrons nous le temps d’un court mais important feed-back.
Dans les temps reculés, en Palestine, un travailleur indépendant prénommé Jacques réparait tranquillement son filet de pêche, en compagnie de son frère et de leur père Zébédée. Ils furent interrompus par le surgissement imprévu d’un individu décharné et vitupérateur qu’on appelait Jésus (tu as moins de 2000 ans? Je re-situe la scène; Jésus, c’est le seul type qui ait atteint l’audimat de Julien Lepers,et ce avant que la télé n’existe. Le créateur de plein d’espoir et de tas de guerres).
De surprise, Jacques en laisse tomber son filet et, sans poser de question, il suit l’énergumène avec son petit frère Jean, qui rapidement deviendra « l’évangéliste ». Lui-même se mute en Jacques le Majeur (tu as pigé, y’en a un autre, trop long, on laisse tomber pour aujourd’hui, là c’est juste une recette de cuisine, ok?).
Après la mort dudit Jésus (épisode nébuleux mais déjà trop narré), le Jacquot vieillissant, loin de jeter l’éponge, monte son propre equipo, sans aucune subvention ni transfert, et évangélise l’Espagne. Un sans faute pendant des années. Sa seule erreur, durement sanctionnée, est de rentrer en Palestine, où Hérode le Teigneux assure la défense.
Sa dernière tête lui sera fatale: carton rouge, on le tranche sur le vif.
Le reste de son corps fut posé sur une barque abandonnée aux flots -un des premiers migrants. Ayant traversé in toto la Méditerranée, il atteignit sans chavirer le Détroit de Gibraltar, le dépassa et remonta plein Nord, longeant ce qui deviendrait le Portugal où d’autres courants le portèrent vers les côtes de Galice. Il s’échoua enfin sur une plage déserte dite Campus Stellae (traduction=le pré aux étoiles).
Jacques -même mort- était d’un naturel patient: il attendit huit siècles, son squelette blanchissait tranquillement sur la lande ibérique, pas vu pas pris, jusqu’à être repéré par un ermite local. La médiatisation arriva rapidement: Compostelle était née. De quelques pierres des champs en sépulture, de sépulture en petite chapelle, de petite chapelle en église, cet engouement nécrologique amena une ville entière à se construire. Dès le haut Moyen-Âge, un demi-million de semelles s’usèrent bon an mal an sur des chemins venant de toute l’Europe et convergeant vers les reliques élues. Ainsi soit-il, keep cool, je lâche pas le fil…
Car de ces faits si anodins en apparence, la vie d’un simple et innocent mollusque fut toute chamboulée; jusque-là, le Pecten Maximus se promenait au fond des mers, jouant parfois de son processus embarqué d’hydropulsion pour fuir l’étoile de mer, son principal prédateur (il aspire de l’eau à l’avant, qu’il emmagasine et recrache derrière lui, surtout en mode panique, ça le fait avancer d’un coup, gratuit et écolo). On se mit à le chasser à grande échelle, afin qu’en quelques années il devînt la noble et symbolique Compostella, coquille sacrée que tout pèlerin se devait d’arborer en médaillon pour attester de son pélerinage.
À ce stade – ô lecteur désiré, ô désirable lectrice – il m’apparaît avoir omis dans mon récit une chose importante: les noix de St Jacques devraient être depuis 20 à 30 minutes dans ton congélateur, essuyées et séparées les unes des autres afin qu’il soit aisé de les tailler maintenant en tranches d’un demi-centimètre environ.
Et puisque nous y sommes, finissons-en. Je te conseille de saupoudrer un rien de fleur de sel avant, sur le plat indivis ou les assiettes, puis d’y poser avec toute ta délicatesse les bestioles en rondelles. Ensuite, il te restera à assaisonner copieusement par-dessus avec jus de citron (et, si tu aimes, un peu de zeste râpé fin), sel, poivres, huile d’olive. Et des anneaux d’échalote que tu auras préalablement étuvé 3 minutes à la vapeur.
Tu décoreras avec un peu de shiso ciselé, en gardant quelques feuilles entières pour étonner les papilles de tes convives.
Sur le shiso, laisse-moi te confier encore ceci: cette lamiacée, lointaine cousine de notre menthe, n’est rien de plus que le Zisu chinois (perilla frutescens, ou pérille de Nankin). Une des choses innombrables que les Nippons se sont appropriés dans le monde. Il en existe une variété verte, un peu acidulée et tendre, et une autre, pourpre, plus adaptée au goût du photographe. C’est aussi cette dernière qui est utilisée pour colorer en rose un produit très prisé au Japon, la prune Umebosi.
Ce qui m’offre la joie d’une dernière proposition. Si tu souhaites marquer tes hôtes d’un soir au sceau d’une expérience inoubliable, fais-leur goûter la prune Umebosi. Pour ça, il te suffit d’aller au magasin bio le plus proche et d’y acquérir le plus petit contenant de la substance. Tu leur feras déguster à la fin du repas après avoir éteint la lumière -comme cela se pratique avec les cerises à l’eau de vie, dans certaines contrées encore sauvages.
Allez, je te libère, Fôdré faire à manger. Et Dieu reconnaîtra les siens.
Fais ton marché (4 pers.): 8 à 12 noix de St Jacques fraîches – 1 citron jaune ou vert – 1 échalotte – huile d’olive (2 c.à.s.) – qq feuilles de shiso vert ou pourpre (direction Tang Frères, pour les Parisiens) – poivre, fleur de sel.
L’œil du photographe: Une lumière fraîche et douce, réservée au début puis mordante comme une Bigouden. Stylisme Geneviève Peron ©photo et texte Jean-Michel Renaudin
Blanc-manger et son crisp de carottes
Sous une pluie de pistaches
(la carotte comme tu l’as rêvée…)
Aujourd’hui, on va parler carotte. Sérieusement. D’abord une petite mise au point, juste entre nous : râpée, bouillie, en soupe ou en purée… tu OUBLIES ! On attaque tout de suite par la face Nord, niveau 2 : un dessert (meuh non c’est pas la 13ème recette du carrot-cake de Tante Rosbeef). Allez hop, c’est parti, en plus c’est beau…
Blanc-manger (la veille ou qq heures avant) : tu dissous l’agar-agar (oui M’sieur l’agent, c’est de la poudre blanche…) dans 1/2 litre d’eau froide, t’ajoutes le sucre (50g) et les amandes en poudre, tu amènes à ébullition et tu coupes le feu. Tu ajoutes la purée d’amande, tu mélanges bien et tu verses dans 4 petits moules ou ramequins; tu laisses refroidir un peu et tu mets au frigo au moins deux heures.
coulis de fraises: tu mixes ensemble les fraises, le sucre et le jus d’un demi- citron, tu ajoutes un peu d’eau si nécessaire. tu passes au chinois (de Belleville si possible). Tu réserves.
Si t’es pressé ouk c’est l’hiver, tu passes chez Picard prendre des sachets de coulis surgelé… Et avec tout ce temps que t’as gagné, tu t’offres un coup au café d’en face. C’est la vie …
Crisp de carotte : tu râpes la carotte en fine julienne, tu la fais revenir à la poêle avec l’huile de coco, le reste du sucre (30g =2 c.à.s.) et les pistaches, pendant 10 mn à feu moyen, en remuant. tu fais bien caraméliser, ça grésille, ça chante, ça croustille…
Pour servir : tu démoules chaque part de blanc-manger dans une assiette et tu déposes dessus un dôme de carottes confites encore tièdes, puis tu nappes de coulis.
Tu fais déguster vite sinon la carotte risque de ramollir, et là, c’est jamais drôle.
Fais ton marché: amandes en poudre (100 g), purée d’amande blanche (50 g), carottes (200g), sucre roux (50g + 30g), agar-agar (2g), pistaches décortiquées 50g), huile de coco (2 c.à.s.). Pour le coulis: fraises (250g), sucre roux (45 g = 3 c.à s.), 1 citron
L’œil du photographe: Un joli coup de soleil pour rendre la carotte heureuse, sans trop brûler le reste. Et de belles courbes de coulis grâce à la seringue spéciale d’Isabelle ! Merci à Isabelle Brouant, styliste ©recette, photo et texte Jean-Michel Renaudin